Comptage des cellules de levures par cytométrie en flux dans les moûts de raisin et les vins
RÉSOLUTION OIV-OENO 713A-2025
COMPTAGE DES CELLULES DE LEVURES PAR CYTOMÉTRIE EN FLUX DANS LES MOÛTS DE RAISIN ET LES VINS
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE,
CONSIDÉRANT que pour une gestion efficace de la fermentation alcoolique, et de la prise de mousse dans les vins effervescents, il est opportun de disposer de méthodes rapides et précises en mesure de fournir des informations sur la quantité et l’état physiologique de la population de levures œnologiques,
CONSIDÉRANT que la plupart des méthodes d’analyse microbienne de l’OIV sont actuellement basées sur le comptage sur boîtes de Petri, une technique robuste et efficace, mais qui requiert de longues périodes d’incubation, parfois incompatibles avec la rapidité des processus de fermentation,
CONSIDÉRANT que la cytométrie en flux est aujourd'hui une technique analytique largement répandue dans différents secteurs de l’industrie biotechnologique et agroalimentaire, que sa robustesse et sa fiabilité sont largement démontrées et qu’il existe sur le marché de nombreuses solutions technologiques adaptées à différents contextes de production,
DÉCIDE d’adopter la méthode d’analyse microbiologique suivante pour les moûts de raisin et les vins et de l’inclure dans le Recueil des méthodes internationales d'analyse des vins et des moûts :
COMPTAGE DES CELLULES DE LEVURES PAR CYTOMÉTRIE EN FLUX DANS LES MOÛTS DE RAISIN ET LES VINS
Méthode OIV-MA-[référence correspondante]
Méthode de type IV
1. Comptage des cellules de levures par cytométrie en flux dans les moûts de raisin et les vins
2. Domaine d'application
Méthode visant à quantifier les cellules de levures viables, stressées (membranes perméables) et mortes.
Cette méthode qui utilise une technique de double marquage ne permet pas la quantification des cellules viables métaboliquement inactives (membranes imperméables).
Cette méthode est applicable aux vins, aux moûts, aux moûts en fermentation alcoolique et à la prise de mousse.
Les limites de quantification dépendent de la performance de l’appareillage utilisé et de la méthode de préparation de l’échantillon.
3. Définitions
CYTOMÉTRIE EN FLUX : la cytométrie en flux est une technique qui permet une analyse rapide et multiparamétrique de cellules individuelles en solution. Le cytomètre en flux utilise des lasers comme sources lumineuses afin de produire des signaux lumineux de diffraction et de fluorescence qui sont lus par des détecteurs, comme des photodiodes ou des tubes photomultiplicateurs. Ces signaux sont convertis en signaux électroniques qui sont analysés par un ordinateur. Les populations de cellules peuvent être différentiées et/ou caractérisées en fonction des caractéristiques de leur fluorescence ou de leur diffraction lumineuse.
DIFFRACTION À ANGLE FAIBLE (FORWARD SCATTER, FSC) : signal produit par la diffraction de la lumière par la particule (cellule). Par convention, il est enregistré à 180° de la source lumineuse et peut être directement relié à la taille de la particule.
DIFFRACTION LATÉRALE (SIDE SCATTER SSC) : signal produit par la diffraction de la lumière par la particule (cellule). Par convention, il est enregistré à 90° de la source lumineuse et peut être directement relié à la complexité de la structure de la particule.
CANAUX DE FLUORESCENCE (FLx) : signaux produits par l’émission d’une fluorescence due aux fluorochromes associés aux particules au moyen de couleurs adéquates. Les différentes longueurs d’onde d’émission sont séparées par l’intermédiaire de filtres optiques et, par convention, numérotées successivement (FL1, FL2, etc.).
COMPENSATION : processus de correction requis du fait du débordement spectral de fluorescence, consistant en la soustraction du signal de tout fluorochrome donné de tous les détecteurs à exception de celui consacré à la mesure de cette coloration. La compensation est typiquement appliquée aux canaux FL2 ou FL3, afin de soustraire la contribution du fluorochrome qui présente le pic maximal d’émission dans le canal FL1.
COMPTAGE VOLUMÉTRIQUE : mesure du nombre d’événements (cellules) dans un volume d’échantillon donné, habituellement mesuré par deux électrodes placées à différents niveaux dans la cuvette de l’échantillon. Des solutions alternatives peuvent être utilisées, par ex. une pompe volumétrique.
ÉVÈNEMENT : Un évènement est défini comme la détection d’une particule individuelle passant au travers du ou des faisceaux lasers de l’appareil. Chaque évènement correspond à une série de mesures de différentes propriétés optiques et physiques de cette particule. Il revient aux opérateurs de démontrer qu’un évènement peut être associé à une cellule individuelle en vérifiant l’absence de cellules regroupées (doublets, triplets, etc.).
4. Principe
Une suspension cellulaire, obtenue à partir d’une dilution décimale appropriée de l’échantillon, est analysée par cytométrie en flux en mode volumétrique, après marquage avec des colorants fluorescents permettant de différencier les cellules présentant une activité enzymatique (vivantes) et les cellules ayant une membrane cytoplasmique altérée (mortes). Dans certains cas, il est également possible d’identifier une 3ème sous-population de cellules présentant une activité métabolique, mais avec une altération de la perméabilité de la membrane cellulaire. Cette sous-population est généralement considérée comme formée de cellules stressées, mais viables.
La présente méthode est une méthode générique utilisant un laser bleu unique et deux fluorochromes. Il est également possible d’utiliser des méthodes plus sophistiquées employant des cytomètres dotés de lasers multiples et un marquage multiple.
Deux types de fluorochromes sont utilisés dans la présente méthode :
- Iodure de propidium (IP) : il s’agit d’un agent intercalant des acides nucléiques (ADN ou ARN). Il ne pénètre que dans les cellules dont la membrane plasmique est perméable. Il est considéré que ces dernières correspondent essentiellement à des cellules mortes, ou à des cellules soumises à un stress membranaire (sous l’effet de l’éthanol, par exemple). Leur pic d’excitation se situe entre 520 nm et 550 nm, avec une fluorescence maximale émise entre 610 nm et 630 nm. Les cellules marquées IP(−) sont donc considérées comme viables, et les cellules IP(+) comme mortes ou présentant une membrane plasmique perméable.
- Diacétate de 5(6)-carboxyfluorescéine (CFDA) : il s’agit d’un substrat estérase pouvant pénétrer dans la cellule et qui agit comme indicateur d’activité métabolique (estérase). Au cours de l’hydrolyse provoquée par les estérases intracellulaires, cet ester d’acétoxyméthyle produit de la caroboxyfluorescéine, dont le pic d’excitation se situe à 498 nm, avec une fluorescence maximale émise à 516 nm. Son spectre d’émission s’étend jusqu’à 650 nm, ce qui peut amener à nécessiter une compensation sur d’autres canaux (FL2). Les cellules marquées CFDA(+) sont donc considérées comme métaboliquement (estérase) actives, et les cellules CFDA(−) comme métaboliquement inactives.
Tableau 1. Résumé des interprétations basées sur les réponses du fluorochrome
Quadrant |
IP(−) |
IP(+) |
CFDA(−) |
Non interprétable dans cette méthode |
Mortes |
CFDA(+) |
Viables et actives |
Cellules actives présentant une membrane plasmique altérée perméable à l’IP (cellules stressées) |
Remarque 1 : Une population de cellules est définie IP(−), reflétant une intégrité membranaire, et CFDA(−), reflétant une activité métabolique non détectable.
Remarque 2 : Dans cette méthode, les cellules ne sont pas dissociées d’un éventuel bruit de fond. Le quadrant IP(−), CFDA(−) est donc non interprétable.
5. Réactifs et matériel
Verrerie de laboratoire courante, cuvettes pour cytométrie en flux et liquide d’entraînement, lorsque l'instrument l'exige.
Éprouvettes (16 × 160 mm ou similaires) contenant 9 mL de tampon phosphate salin (PBS) filtré à l’aide d’un filtre d’une porosité 0,2 µm (pH 7,4).
Diacétate de 5(6)-carboxyfluorescéine (en poudre) (CFDA, n° CAS : 124387-19-5).
Iodure de propidium (en poudre) à 95 % (IP ; n° CAS : 25535-16-4).
Diméthylsulfoxyde pure sous forme liquide (DMSO ; n° CAS : 67-68-5).
Culture pure de S. cerevisiae (par ex. : souche ATCC 9763) à une concentration nominale de 105 cellules/mL.
Solution aqueuse de NaCl à 8,5 g/L, stérilisée par filtration ou autoclave.
Solution de CFDA dans du DMSO ou de l’acétone à 0,1 mg/L.
Solution d’IP dans du DMSO ou en solution aqueuse à 1 mg/L.
Remarque 1 : La dilution des fluorochromes est réalisée dans du DMSO. Il est également possible de la réaliser dans de l’acétone. Il apparaît cependant que le mélange acétone/DMSO produit davantage de bruit de fond sur le cytomètre, et il est donc recommandé de n’utiliser que du DMSO.
6. Appareillage
Cytomètre en flux équipé d’un laser émettant à 488 nm (50 mW) et de paramètres optiques FSC, SSC, FL1 (530 nm), FL2 (630 nm) et FL3 (670 nm).
Agitateur de type Vortex.
Verrerie de laboratoire.
Filtre de laboratoire stérilisant d’une porosité de 0,2 µm (préférablement en acétate de cellulose, qui limite le bruit de fond).
Plaque pour cytométrie en flux.
Micropipettes de 1 mL et 0,2 mL à embouts stériles.
Balance analytique (précision de ± 0,01 g).
Centrifugeuse de laboratoire.
Remarque : Si la stérilité ne s’avère pas essentielle, il est cependant recommandé de maintenir un haut niveau d’hygiène et d’utiliser du matériel et des réactifs stériles.
7. Échantillonnage (préparation de l'échantillon)
Pour les vins et les moûts, se référer à la méthode OIV-MA-AS4-01, « Analyse microbiologique des vins et des moûts : détection, différenciation et dénombrement des microorganismes du Recueil des méthodes internationales d'analyses des vins et des moûts (résolution OIV/OENO 206/2010).
Il est recommandé d’homogénéiser l’ensemble de la masse de vin avant de prélever l’échantillon, ainsi que l’échantillon avant analyse, de manière à garantir une dispersion homogène des cellules dans le vin.
8. Mode opératoire
L’analyse par cytométrie en flux étant immédiate (moins de trois minutes avec un appareillage moderne), il existe peu de risques de contamination dus à la manipulation de l’échantillon en dehors de la hotte à flux laminaire ou durant la lecture cytométrique. Il est cependant recommandé de maintenir un haut niveau d’hygiène et d’utiliser du matériel et des réactifs stériles.
La présente procédure est fournie à titre d’exemple. Des variations peuvent être introduites par le laboratoire. La technique de cytométrie en flux exige d’adapter constamment les dilutions en fonction de l’appareil utilisé ainsi que de la charge microbiologique des produits à analyser.
MISE AU POINT DU CYTOMÈTRE EN FLUX
Mettre sous tension le cytomètre en flux et procéder au nettoyage de l’appareil afin d’éviter des interférences lors de l’analyse. Régler les canaux d’acquisition FSC, SSC, FL1 (acquisition à 530 nm), FL2 (acquisition à 630 nm) et FL3 (acquisition à 670 nm) sur une échelle logarithmique.
Le cytomètre en flux est considéré comme prêt pour l’analyse une fois écartée la présence d’évènements susceptibles d’interférer avec l’acquisition de l’échantillon dans le canal FSC durant la lecture d’un échantillon contenant uniquement du liquide d’entraînement.
Exécuter la lecture d’une culture pure de S. cerevisiae en prenant soin de régler les voltages des canaux FSC et SSC, le cas échéant, afin que le pic du signal dans les deux canaux FSC et SSC soit clairement séparé du bruit de fond. Si le cytomètre en flux le permet, il est possible de soustraire la contribution du bruit de fond en agissant sur le seuil du paramètre FSC. Élaborer un graphique par points en intégrant les signaux FSC et SSC et repérer la zone contenant la population de cellules de levures, en l’identifiant avec une fenêtre d’acquisition spécifique (figure 1).
COLORATION DE L’ÉCHANTILLON
Vin ou moût : préparation pour une population de levures > 102 cellules/mL
Diluer l’échantillon avec la solution de NaCl entre au 1/10 et au 1/100 (voire davantage) en fonction de la performance de l’appareil utilisé et de la charge microbiologique.
Placer 980 µL d’échantillon dilué dans une cuvette pour cytométrie, conformément aux spécifications de l’appareil.
Procéder au marquage en introduisant, par exemple, 10 µL de solution de CFDA et 10 µL de solution d’IP dans 980 µL de vin dilué ou de moût.
Laisser incuber environ 10 minutes à température ambiante, à l’obscurité.
Vin ou moût : préparation pour une population de levures < 102 cellules/mL (par ex., vin conditionné)
Centrifuger 50 mL d’échantillon à 4500 tr/min pendant 8 minutes environ.
Éliminer le surnageant et collecter le culot de centrifugation.
Placer le culot dans, par exemple, 10 mL de solution de NaCl.
Procéder au marquage en introduisant, par exemple, 10 µL de solution de CFDA et 10 µL de solution d’IP dans 980 µL de culot redilué.
Laisser incuber l’échantillon à température ambiante pendant environ 10 minutes, dans l’obscurité.
Au terme de l’incubation, homogénéiser et procéder à la lecture de l’échantillon, après avoir configuré le cytomètre en flux en mode de lecture volumétrique.
Remarque 1 : La concentration en CFDA dans l’échantillon marqué est de l’ordre de 2 mg/L à 5 mg/L. La concentration en IP dans l’échantillon marqué est de l’ordre de 3 mg/L à 10 mg/L.
Remarque 2 : L’ordre des apports de fluorochromes est sans importance. Ils peuvent être introduits simultanément dans une même solution.
Remarque 3 : Le marquage reste habituellement stable pendant une heure ou plus.
ANALYSE CYTOMÉTRIQUE EN FLUX
Lire l’échantillon en prenant soin de régler les paramètres de l’appareil de manière à ce que la population de levures se trouve dans la fenêtre d’acquisition précédemment identifiée avec la culture pure de S. cerevisiae.
Régler les voltages des canaux FL1 et FL2 de manière à mieux séparer le pic d’émission de l’échantillon du bruit de fond (autofluorescence). Afin d’éviter des aberrations dues au spectre d’émission du FDA, que le paramètre FL2 pourrait également intercepter, ajuster adéquatement la compensation de l’appareil afin de soustraire de FL2 la contribution de FL1. Le cas échéant, le canal FL3 pourrait être utilisé au lieu du canal FL2 afin de permettre une meilleure discrimination des signaux de fluorescence liés aux cellules vivantes (FL1) et mortes (FL2 ou FL3). Procéder au comptage volumétrique des cellules présentes dans l’échantillon. Intégrer dans un graphique par points les canaux FL1 et FL2 (ou FL3) pour mieux visualiser la séparation des populations cellulaires (figure 2). Considérer comme cellules vivantes les évènements recueillis dans le canal FL1 et issus de la fenêtre d’acquisition contenant la population de levures, repérée dans le graphique par points des paramètres physiques FSC et SSC. Considérer comme cellules mortes les évènements recueillis dans le canal FL2 (ou FL3) et issus de la fenêtre d’acquisition contenant la population de levures, repérée dans le graphique par points des paramètres physiques FSC et SSC. Considérer comme cellules stressées, mais viables, la population d’évènements qui reste positive sur les deux canaux (FL1 et FL2 ou FL3) après compensation adéquate des signaux.
9. Calculs
Une fois le comptage volumétrique terminé, noter le nombre de cellules vivantes, mortes et endommagées comptées dans l’unité de volume ou de poids, en fonction du volume échantillonné par le cytomètre en flux, en tenant compte des dilutions décimales réalisées. S’agissant d’un comptage cellulaire direct, il est possible d’exprimer le résultat en « cellules/mL » ou « cellules/g » », tout en vérifiant l’absence de doublets ou de triplets.
Bibliographie
- Longin, C., Petitgonnet, C., Guilloux-Benatier, M., Rousseaux, S. et Alexandre, H, Application of flow cytometry to wine microorganisms, Food Microbiology, 2017, vol. 62, p. 221-231. DOI : 10.1016/j.fm.2016.10.023.
- Clinical and Laboratory Standards Institute (CLSI), CLSI H62: Validation of Assays Performed by Flow Cytometry, 1ère édition, 2022. ISBN: 978-1-68440-129-1.
- ISO 7218:2007 amd1:2013, Microbiologie des aliments — Exigences générales et recommandations.
- Kwolek-Mirek, M., et Zadrag-Tecza, R., Comparison of methods used for assessing the viability and vitality of yeast cells, FEMS Yeast Research, 2014, vol. 14, p. 1068-1079. DOI : 10.1111-1567-1364.12202.
- Guzzon, R. et Larcher, R., The application of flow cytometry in microbiological monitoring during winemaking: two case studies, Annals of Microbiology, 2015, vol. 65, p. 1865-1878. DOI : 10.1007/s13213-014-1025-6.
Figure 1. Graphique par points FSC/SSC montrant la fenêtre d’acquisition de la population d'événements correspondant aux cellules de S. cerevisiae (YEAST) présentes dans un échantillon à une concentration de cellules/mL.
Figure 2. Graphique par points FL1 (530 nm)/FL2 (630 nm) montrant les fenêtres d’acquisition contenant la population d’évènements correspondant aux cellules de S. cerevisiae vivantes (LIVE), mortes (DEAD) et stressées, mais viables (DAMAGED).